De son exil, Ir Victor Ngona Kabarole, le porte-parole du G5-A, accuse… (Interview)

Bunia, 21 septembre 2023 (IturiNews).- Sales temps pour le G5-A. Depuis le, début de l’année en cours, ses leaders passent- des moments difficiles. En janvier 2023, son porte-parole l’ingénieur Victor Ngona Kabarole fait l’objet d’un enlèvement nocturne, à domicile, par des militaires vraisemblablement des gardes du gouverneur militaire de l’Ituri. Il connaitra une nuit d’enfer, mais finira par s’en sortir le lendemain grâce à une mobilisation de plusieurs énergies.

Cette épisode semble avoir sonné le glas d’une période durant laquelle le G5-A avait le vent en poupe, enchainait conférences de presse, journées ville morte, enterrement des victimes des attaques des milices (grâce à l’appui financier des mêmes autorités), missions à Kinshasa dont celle pour amener un rapport au pape François en visite dans la capitale congolaise, etc.

Début août dernier, c’est son président, Me Christian Utheki, qui se fait arrêter par la justice militaire. Trois griefs sont formulés contre lui dont la participation à un mouvement insurrectionnel. Jusqu’à ce jour, malgré des protestations de ses confères avocats, des étudiants de l’Université de Bunia dont il est l’une des autorités et l’un des enseignants, ainsi que celles de certaines couches de la population, il croupit dans les geôles de la prison centrale de Bunia, tout en comparaissant devant le tribunal militaire.

Une dépêche de www.radiookapi.net datée du 09 août 2023 renseigne que Me Christian « est parmi 25 personnes dont les noms sont repris dans un mandat d’arrêt délivré en juin par la justice militaire ».

Depuis plus d’un mois, l’Ir Victor Ngona a carrément pris le chemin de l’exil. Quant aux autres membres les plus actifs de l’association, ils sont entrés en clandestinité.

IturiNews a réussi à joindre l’Ir Victor Ngona pour obtenir de lui la lecture du G5-A de la situation qu’il traverse. Il n’a pas manqué de revenir sur les terribles heures du « parcours de désespoir », comme il le dit, qu’il a connues dans la nuit du 24 au 25 janvier 2023.

Le G5-A se définit comme « une organisation circonstancielle » des communautés victimes des atrocités des milices en province de l’Ituri. Il a été « créée dans les circonstances douloureuses liées aux atrocités en Ituri afin de porter les cris de détresse aux autorités étatiques et à l’opinion internationale ainsi que de réclamer la justice et réparation ». Il se compose de cinq communautés locales : Alur, Hema/Ite, Mambisa, Ndo-Okebo et Nyali/Kilo. Il a pour objectifs : « œuvrer dans l’unité afin de défendre les droits des membres des communautés victimes face aux actes génocidaires et criminels de la milice Codeco et leurs présumés complices, soutenir les autorités afin d’éradiquer le crime contre ses membres ; documenter les faits de crime ; militer pour la justice et la dignité de ses membres ».

IturiNews :

Que se passe-t-il avec le G5-A ces derniers jours ? Les membres de la direction de G5-A semblent traqués. Son président se trouve en prison. Vous-même, le porte-parole, vous vous trouvez à l’extérieur du pays depuis environ un mois. Vos autres collègues du présidium sont en clandestinité.

Ir. Victor Kabarole :

Ce qui nous arrive est quelque chose de bien planifié, en complicité avec nos propres frères et sœurs. Le leadership de G5-A est trop gênant pour des raisons doublement politiques. La première raison est notre constance dans les différentes démarches pour le compte des victimes. La deuxième raison est purement politique. Les gens estiment que nous constituons un obstacle pour leur épanouissement politique.

Tout a commencé en décembre 2022. A l’époque, le gouverneur Luboya s’époumone à équilibrer le drame de l’Ituri, en tentant de dédouaner des criminels, mais aussi pour d’autres raisons. Peut-être aussi  pour décharger certaines têtes responsables des atrocités situées dans les hautes sphères.

Il fallait trouver quelque chose qu’on va qualifier de groupe armé qui est en belligérance avec ces criminels de Codeco et de Tchini ya kilima, pour dire qu’en province de l’Ituri, il n’y a pas massacres à grande échelle, il n’y a pas eu génocide ; que les responsables de ces atrocités sont les responsables des groupes armés communautaires, patati patata.

Depuis le mois de décembre, de connivence avec certains de nos propres frères, se sont lancés dans cette gymnastique.

Quant en ce qui concerne nous les responsables de G5-A,  nous avons été sollicités plusieurs fois pour accompagner cette politique. Nous avons estimé que ce n’était pas honnête vis-à-vis des communautés victimes. Bien sûr certaines têtes au sein des communautés victimes sont allées, mais nous avons résisté. C’est ainsi que nous n’avons pas répondu aux rendez-vous que ce soit de Nairobi 1, Nairobi 2, etc. Parce que nous avons dit, avant qu’on participe à une telle rencontre ou à des rencontres qui doivent nous mettre sur la même table, il faudra qu’on fixe clairement notre statut de communautés victimes. Parce que nous viendrons certainement déposer nos plaintes et avec des preuves.

Dès lors nous sommes devenues des têtes trop gênantes. Monsieur Luboya va trouver en nous des opposants à cette politique, ainsi il va procéder à l’instrumentalisation et la manipulation en mettant les moyens pour récupérer certaines petites têtes dans les communautés. Il va former ce qu’on appelle MAPI (Mouvement d’Auto-défense Populaire de l’Ituri, Ndlr). C’est de là que va commencer notre calvaire.

IturiNews :

Vous avez été le premier à avoir maille à partir avec l’autorité provinciale. Que s’est-il exactement passé à l’époque ?

Ir. Victor Kabarole :

Avec MAPI, il va faire des déclarations trop malhonnêtes et incendiaires à notre égard, pour attirer ces jeunes gens, jusqu’à leur dire qu’il avait remis 6.000 $ à monsieur Victor et 4.000$ à maman Sarah pour qu’on aille sensibiliser les gens de venir à lui, mais malheureusement les Victor et Sarah ont bouffé cet argent et font obstacle à ce que vous puissiez participer au processus.

C’est ainsi qu’avec la complicité de l’honorable Uyewa, le 24 janvier 2023, ces jeunes gens, trop furieux d’apprendre que 6.000 $ nous ont été remis et 4.000 $ à Sarah pour leur compte, ils vont me fouiller partout dans la vile. Vers 16 heures, ils vont me retrouver quelque part où je me reposais et s’en sont pris à moi. Ils s’en sont attaqués avec moi pratiquement.

Je n’étais pas d’accord avec cette façon d’agir, j’ai  essayé de riposter violemment. Comme il y avait attroupement, ils ont pris la poudre d’escampette.

C’est ainsi que je suis rentré à la maison très abattu moralement par ce genre de comportement de la part du gouverneur de province. Vers 21 heures, je vais lancer une sonnette d’alarme pour dire que je n’étais pas d’accord avec ce genre de comportement, certainement avec beaucoup d’écart de langage. Vers 22 heures 30, ils vont utiliser ce même groupe des jeunes gens.

J’ajoute que ce qui va mettre aussi sur le feu, c’est qu’en amont, à la sortie officielle de MAPI, nous étions conviés à les accompagner, mais nos chaises se sont retrouvées vides. ENTE (association culturelle de la communauté Hema, Ndlr) aussi, qui accompagnait cette politique, s’est abstenue. Ils ne se sont pas mis d’accord au sein de leur équipe pour se présenter et accompagner MAPI lors sa sortie officielle.

Dans la pensée de ENTE, lorsqu’ils ont monté l’histoire avec le gouvernement, c’était que ENTE serait épargnée, et ce groupe armé sera mis sur le dos de G5-A.

Pour revenir au film des évènements, vers 22 heures 30, ils vont utiliser la même équipe des jeunes gens avec à leur tête Roger, ils vont escalader ma clôture, ils vont casser toutes les portes, ils vont ramasser chez moi 3.800$, je n’ai jamais voulu dire ça, ils vont ramasser mon téléphone Phantom. J’ai essayé de résister pendant à peu près 45 minutes, finalement ils vont tirer plusieurs coups de balles dans l’obscurité après avoir cassé toutes les ampoules. Je vais me rendre compte que le pire pouvait arriver dans cette obscurité, surtout que ma mère, d’un âge avancé, était là ; que mes petites filles étaient également là. Je vais tout lâcher et ils vont me prendre.

Il y avait trois jeeps avec des militaires bien armés. La première jeep va prendre la destination de 206 du coté marché. La deuxième jeep ira vers le Nord de la ville. Je me suis toujours dit que c’était sans doute à la recherche de Sarah mais je crois qu’ils n’ont pas su localiser chez maman Sarah

IturiNews :

Que va-t-il se passer par la suite ?

Ir. Victor Kabarole :

Je croyais qu’on allait m’amener dans une prison officielle. Mais nous avons pris un parcours que j’ai toujours qualifié de parcours du désespoir.

Nous avons franchi toutes les portes officielles c’est-à-dire en passant par l’ANR, en passant par le gouvernorat, et nous avons pris la direction de la 32e région militaire où on a évolué vers l’abattoir, et plus loin, dans l’obscurité, de sorte que je ne savais plus localiser où je me trouvais exactement.

Personnellement je m’étais rendu compte que mon compte était réglé. Je me souviens que nous avions évolué vers le pont Shari qu’on a dépassé, jusqu’à atteindre et terminer la colline Dyango.

Ce dont je me souviens c’est que nous nous sommes retrouvés devant un camp militaire et là, à l’entrée, on a refusé de me recevoir par qu’aucune consigne n’avait été donnée. Nous allons faire demi-tour jusqu’à la hauteur d’un boisement où va me faire descendre.

Le Major Christian qui était à la commande va demander de me coucher, ce que je refuserai catégoriquement. Je serai mis assis par terre. Il va me demander si je connaissais le sort de Chebeya. Je vais rétorquer : « Terminez votre travail, ne me faites pas souffrir inutilement ».

Les discussions vont continuer, il va me poser beaucoup de questions : quelles relations vous le G5 avez avec le M23, des questions sur MAPI, sur ZAIRE, où le G-5 reçoit les armes,…..ce jusque vers 3 heures…

Le Major Christian va demander aux militaires de me mettre sue le véhicule, ce qui sera fait. Nous allons rebrousser chemin vers la ville comme des poules mouillées, avec une vitesse inférieure à 20 km/h. Vers 3 heures 45, on se retrouve à la PIC, police d’intervention criminelle. L’officier de permanence refusera dans un premier temps de m’accueillir. Il dira que l’affaire faisait déjà gros bruits dans les réseaux sociaux ainsi que dans les communications radio des services de sécurité : « Tout le monde se demandait qui a mené cette opération mais personne n’arrive à répondre ; c’est mieux que vous puissiez amener Victor chez vous ».

Il finira par accepter après conciliabule en aparté avec Major Christian. Et c’est là qu’il va m’abandonner.

IturiNews :

Commence alors une nouvelle journée au cours de laquelle vous allez recouvre la liberté. Quelles en sont les péripéties ?

Ir. Victor Ngona :

Tout le monde ne savait pas où je me trouvais. Apparemment le gouverneur niait avoir ordonné une telle opération. Et la ville était déjà en ébullition.

Vers 9 heures je vais apercevoir un ami avec qui nous avons eu à vivre à bon terme à Komanda. Il sera surpris de me retrouver torse nu, en culotte, sans chaussures.  Je vais profiter de l’occasion pour l’envoyer clandestinement à la maison pour me chercher des vêtements et des babouches. C’est ce qui va donner l’alerte, soulever la foule pour se diriger vers la PIC.

Au courant de la journée ils vont se précipiter pour m’amener à l’auditorat où je serai soumis à l’interrogatoire. Après cet interrogatoire, on va me demander de mettre de l’eau dans le vin, de faire une déclaration pour éviter que la ville soit embrasée.

Sous cette pression-là, tant du côté de la famille que des amis, mais aussi traumatisé, je ferai, contre l’avis des avocats, une déclaration à l’apaisement. Et vers 17 ils vont me libérer de l’auditorat, dans la clandestinité. Il y avait en effet plein de monde devant l’auditorat qui attendait la suite. L’auditeur supérieur va  dire que si ça se passe avec triomphalisme, ça va déranger l’autorité. « Nous te libérons dans la clandestinité et dès que tu seras à la maison nous dirons aux gens que tu es libéré », promit-il. C’est ce qui fut fait. Je fus pris dans le véhicule de Danny par la porte de derrière.

IturiNews :

Tout indique que les relations entre G5-A et les autorités provinciales ne se sont pas améliorées. Qu’est-ce qui justifierait cela ?

Ir. Victor Kabarole :

Nous sommes traqués pour avoir refusé, par honnêteté intellectuelle, d’accompagner un montage suicidaire. Nous avons refusé à cause de tout ce sang qui a été versé mais qu’on veut minimiser.

Aujourd’hui, nous nous sommes retrouvés en exil, mais je sais qu’ils se sont rendus compte que quelles soient les pressions, nous n’allons pas changer de fusil d’épaule. Mais aussi, sur le plan politique, comme je le disais au départ, il est question de nous écarter de la course électorale. On voulait ainsi mettre la main sur nous, organiser rapidement un procès pour nous condamner, et ainsi nous exclure au profit de ceux-là qui croient que l’élévation vient par ces manœuvres-là.

Nous n’avons pas peur de la justice. Nous avons peur de nous retrouver devant une barre instrumentalisée, d’une justice sous la pesanteur d’une autorité de l’état de siège qui a énormément de pouvoirs, une justice pour nous martyriser.Propos recueillis par Claude Pay