Bunia, un diocèse martyrisé par les violences mais toujours debout

1. Présentation du Diocèse de Bunia 

I.1.1. Historique

Situé dans le Nord -Est de la République Démocratique du Congo, le diocèse de Bunia vit le jour le 28 janvier 1911 avec l’ouverture de la première mission à partir de l’Ouganda.

Le 27 juin 1922 fut créée la Préfecture Apostolique du ‘’Lac Albert’’ qui deviendra successivement le Vicariat Apostolique du Lac Albert le 16 décembre 1933, puis Diocèse de Bunia le 10 novembre 1959. Le 2 juillet 1962, il fut scindé en deux et donna naissance aux Diocèses de Bunia et de Mahagi- Nioka.

2. Identité du Diocèse de Bunia 

Bunia est un des neuf diocèses catholiques de la Province Ecclésiastique de Kisangani. Il partage ses frontières au Nord avec le Diocèse de Mahagi-Nioka, au Sud avec celui de Butembo-Beni, au Sud-Ouest avec celui de Wamba et au Nord-Ouest avec celui d’Isiro-Niangara. En considérant le Lac Albert, il partage la frontière avec deux Diocèses de l’Ouganda, à savoir les Diocèses de Hoima et celui de Fort Portal.

 Sur le plan administratif, le Diocèse de Bunia, qui était anciennement situé dans l’ex-Province Orientale, est aujourd’hui situé dans la Province de l’Ituri. Il s’étend presque entièrement sur les territoires administratifs de Djugu et d’Irumu et sur une petite partie des Territoires de Mambasa, en Ituri, et de Watsa dans la Province du Haut-Uélé.  

3. Quelques repères statistiques 

 Nombre 
Superficie22.740 Km2 
Population 1.034.047 personnes
Catholiques519.878 personnes
Autres religions chrétiennes263.432 personnes
Religions non chrétiennes 226.425 personnes
Catéchumènes24.312 personnes
Paroisse21
Régions apostoliques (Doyenné)3
Clergé séculier (prêtres autochtones)87
Diacre13
Grands séminaristes95
Propédeutes34
Petits séminaristes153
Religieux9 de droit pontifical 7 de droit diocésain
Religieuses21 de droit pontifical 190 de droit diocésain
Congrégations religieuses8
Ecoles primaires288
Ecoles secondaires91
Formations médicales7
Hôpitaux7
Centre de santé92
Orphelinat2
Société de vie apostolique1
Communauté nouvelle : foyer de charité1

4. Panorama des violences dans le Diocèse de Bunia

Le diocèse de Bunia a été gravement affecté, pour la première fois par les violences interethniques qui ont sévi en RDC à la fin des décennies 1990 et le début de la décennie 2000, plus précisément de 1999 à 2003 lors de l’occupation de la région par des forces étrangères pendant la guerre du Congo. Ces violences ont détruit 1 paroisse et 4 autres partiellement et fait périr près d’un million de personnes dont 3 religieuses et 4 prêtres séculiers.

Grâce à l’engagement des fidèles et du clergé le diocèse a été reconstruit. Mais en 2017 les violences ciblées ont encore repris et continuent jusqu’à ce jour avec les conséquences graves dont la destruction de la vie des personnes et des biens ainsi la déstabilisation de tissus économique.

Figure : L’Eglise et le presbytère de la Paroisse de Fataki complétement désertés à cause des violences.
  1. Cœur-Immaculé de Marie de Fataki (24 avril 1919)

Fondée en 1919, cette paroisse a vu son presbytère, ses écoles primaires et secondaire ainsi que le petit séminaire être sévèrement détruits par les miliciens. Un des prêtres, animateurs de la paroisse a été sauvagement attaqué par les miliciens qui sont allés jusqu’à le mutiler. Ainsi forcée au départ, l’équipe sacerdotale a dû quitter la Paroisse pour se mettre en sécurité à Bunia au siège du diocèse.

De même le Petit séminaire a été saccagé et fermé. De même, les deux congrégations des religieuses ont fermé leurs portes pour déménager provisoirement à Bunia.

Figure 2 : Le Petit  Séminaire de Fataki saccagé

On note actuellement une reprise timide des activités pastorales à Fataki, mais les esprits des chrétiens divisés par les violences ne sont pas encore totalement réunifiés.

Figure 1:Enterrement dans une fosse commune des personnes  massacrées par les miliciens.

Contrairement à Fataki, les infrastructures de la Paroisse Janua Coeli de Drodro n’ont pas été affectées par les violences. Mais la Paroisse a reçu plus de 70 000 personnes déplacées qui se sont installées sur

son terrain et ont occupé les écoles primaires et secondaires. Les attaques successives des miliciens contre les sites des déplacés depuis 2020 ont forcé ces personnes et l’équipe sacerdotale et religieuse à aller trouver refuge à une dizaine de Kilomètres près d’une base de la MONUSCO. A cause de l’insécurité, les activités pastorales de la Paroisse sont réduites à quelques villages environnants, dans un rayon ne dépassant pas 10 Km.   

  • Paroisse « Notre-Dame de l’Assomption » de Lita (janvier 1949)

Le presbytère, l’hôpital, les écoles et l’église de la Paroisse ont été saccagés, déjà en 2018, par les miliciens venus des villages environnants. 

Après 4 ans d’interruption d’activités pastorales et, fort de l’engagement des autorités locales, l’Evêque a cru opportun de faire retourner une équipe pastorale composée entre autres de son vicaire général en personne. Mais c’était sans compter avec les caractères versatiles des miliciens. En janvier 2023, ceux -ci sont revenus à la charge et ont   ravagé les villages autour de la paroisse et proféré des menaces contre l’équipe sacerdotale. L’Eglise paroisse est très faiblement fréquentée. Les activités scolaires et des soins de santé ne sont pas réorganisés à cause des menaces des miliciens. La Congrégation des Sœurs Servantes de Jésus n’est jamais rentrée dans son couvent. Néanmoins, on note une reprise timide des activités de culte   au chef-lieu de la paroisse tandis que les prêtres sont obligés de suivre les fidèles dans les sites de refuge accessibles lorsqu’il s’observe une petite accalmie dans la région.

Outre son presbytère, cette paroisse possède une école d’agriculture-la plus vieille de la province- ainsi qu’un couvent des sœurs servantes de Jésus et un couvent des frères Servites du Rédempteur.

En 2018, les miliciens se sont violemment attaqués aux infrastructures de la paroisse. L’équipe sacerdotale, les religieux et les habitants de la paroisse ainsi que la plupart des élèves et le corps enseignant ont dû fuir les lieux pour trouver refuge à Bunia.

En 2021 les prêtres sont revenus pour s’occuper des âmes restées orphelines. L’Evêque lui -même est venu conférer le sacrement de la Confirmation comme pour cimenter la reprise des activités pastorales. Mais à cause de l’activisme des miliciens, le rayon d’action de l’équipe sacerdotale reste réduit aux villages se trouvant dans le voisinage immédiat de la paroisse, soit une couverture d’environ 10 %. Il y a des contrées qui restent, à ce jour, inaccessibles à cause des attaques surprises des miliciens.

Siège du diocèse, la Paroisse Cathédrale, héberge l’évêché, les écoles, les maisons-mères de plusieurs instituts religieux, les orphelinats, l’imprimerie, la Coordination des écoles conventionnées catholiques, le Grand séminaire interdiocésains de la Province Ecclésiastique de Kisangani, la Propédeutique, les maisons de formation de plusieurs congrégations, l’économat général du diocèse. Elle n’a pas subi des dommages sur ses infrastructures mais elle a servi de refuge tant au personnel ecclésiastique que laïcs. Elle compte à ce jour les plus grands camps des personnes déplacées de la province ainsi qu’une dizaine des petits sites sur lesquels campent les personnes chassées par les violences. En somme, les effets de la présence des personnes déplacées sont la pollution et la destruction de l’environnement, la surpopulation de l’agglomération, l’apparition des phénomènes enfants de la rue, le travail des enfants, les violences basées sur le genre et la prostitution. Les capacités des écoles, des hôpitaux, des églises sont saturées. Signalons également que la paroisse héberge deux orphelinats dont les pensionnaires sont essentiellement les enfants des victimes directes des violences ou des mères qui décèdent suite aux mauvaises conditions de vie créées par les violences.

Figure 2: Une séance de nutrition des  enfants orphelins dans un des orphelinats

Les exactions des miliciens limitent fortement les activités de la paroisse dont le rayon d’action est réduit à environ 30 %.

Malgré une présence quasi continue d’une milice tribale depuis 20 ans dans sa juridiction, les infrastructures de cette paroisse ont été épargnées. Néanmoins sa population a été considérablement appauvrie par la réduction des activités économiques entrainée par les affrontements récurrents entre l’armée nationale et cette milice ainsi que  les exactions exercées par celle -ci.

Figure 3: Une séance de nutrition des  enfants orphelins dans un des orphelinats

Partageant depuis un même rayon d’action  avec un grand centre de l’église protestante, le Centre Médical Evangélique  de Nyankunde, la paroisse de Badiya s’est vue drastiquement réduite à l’étroit dans ses activités d’évangélisation par les violences exercées par les miliciens. Pour des raisons de sécurité l’équipe pastorale a été contrainte de se réfugier à Bunia tandis que le centre de santé et l’école de la paroisse fermaient leurs portes pour échapper aux miliciens. 

Une des dernières-nées parmi les paroisses du Diocèse, Saint André n’a pas été épargnée par les affres des violences. Bien que ses infrastructures n’aient pas été endommagées, elle a eu à accueillir des dizaines de milliers des personnes déplacées par les violences. Alors qu’elle a besoin de développer, elle est confrontée à la pauvreté de ses fidèles, durement éprouvés par le déplacement et luttant plutôt pour leur survie. 

La paroisse est située au carrefour des routes venant de l’Ituri et du Nord Kivu. De ce fait elle subit les conséquences des violences internes à la province de l’Ituri et celles venant du Nord Kivu où opère une milice ougandaise d’obédience djihadiste.

Ses infrastructures sont intactes mais son équipe pastorale vit dans la peur des attentats de la milice djihadiste et fait face aux mouvements des personnes régulièrement chassées de chez elles par les violences. L’appauvrissement des fidèles est un frein à la croissance de cette paroisse qui n’a que 6 ans d’existence.

La toute dernière-née des paroisses du diocèse, la Paroisse Sainte Marie Reine de la Paixest déjà durement éprouvée par les violences. Sa construction s’est faite dans la douleur à cause des  exactions de la milice djihadiste d’origine ougandaise et des milices locales. Nonobstant ces violences l’autorité diocésaine a accédé au désir des fidèles qui ont tenu à se doter d’une unité d’évangélisation et de facilitation d’accès au sacrement qu’est une paroisse en érigeant le  Centre d’implantation pastorale qu’était Boga en paroisse. Mais la croissance de cette jeune paroisse  reste tributaire de la cessation des  violences.

La première paroisse du Diocèse fondée à la faveur de l’exploitation de l’or par le pouvoir colonial, Kilo qui partage la chrétienté avec ses filles Mongbwalu et Bambu a été peu touchée par les violences de la première décennie de 2000. Mais depuis 2017 elle est devenue un des épicentres des violences sans doute à cause de sa situation géographique dans une zone aurifère qui attire les miliciens. Elle est durement éprouvée non seulement par la destruction ou l’abandon de ses infrastructures déjà frappées par la vétusté mais aussi par le massacre de ses fidèles.

Paroisse « Notre-Dame de la Charité Maternelle » de Mongbwalu

La paroisse Notre-Dame de la charité maternelle est un des champs de bataille ou plutôt des massacres réguliers des miliciens attirés par l’or d’exploitation artisanale. Paroisse industrielle par excellence avec la présence d’industrie minière de la Société Kilo Moto et de Kimines, Mongbwalu est devenu un centre cosmopolite ou extra-coutumier où se côtoient les ressortissants de tous les groupes ethniques de l’Ituri et de la RDC. Malheureusement les miliciens y font des régulières incursions pour affronter l’armée et piller les habitants. L’équipe sacerdotale partage ce quotidien des habitants fait de l’incertitude du lendemain et assiste impuissante aux souffrances de lot des victimes des violences (orphelins, veuves, veufs, mutilés, invalides des violences, etc.)

4. On n’arrête pas l’œuvre de Saint Esprit 

Malgré les violences qui déferlent sur le Diocèse de Bunia, l’Esprit Saint y poursuit son œuvre. En effet, qui aurait cru que dans un contexte troublé comme celui du diocèse de Bunia on assisterait à la création de nouvelles paroisses et ce, à l’initiative des chrétiens pourtant durement éprouvés dans leurs cœurs et dans leur chair ?

En l’espace de 6 ans le diocèse a vu 7 nouvelles paroisses naitre par la détermination et les efforts des chrétiens qui en ont construit les infrastructures eux-mêmes sans subvention extérieure. On est bien plus étonné et admiratif de voir que ces paroisses naissent dans les régions qui ont été le plus affectées par les violences comme pour défier celles-ci et leurs auteurs.

Figure 3: Véhicule acheté par les Chrétiens pour la mobilité de leur équipe sacerdotale

Il s’agit des paroisses suivantes :

Doyenné du Nord

Doyenné du Sud

 Parallèlement à la naissance des paroisses la vocation sacerdotale est florissante dans le Diocèse de Bunia. Le clergé diocésain compte 87 prêtres diocésains. 13 diacres ont été ordonnés en janvier 2023 tandis que le diocèse compte 95 grands séminaristes, 34 propédeutes et 153 petits séminaristes. La Congrégation diocésaine des Sœurs Servantes de Jésus aussi est en grande floraison avec un grand nombre de jeunes en formation.

Figure 4: Construction de l’église paroissiale par les chrétiens de Iga-Barrière

A côté de l’œuvre d’évangélisation, le Diocèse de Bunia reste également actif dans la pastorale sociale notamment à travers sa Caritas. Celle -ci gère aujourd’hui sur fonds propres 3 grands camps des déplacés qui se trouvent être les plus grands  de la province. Il s’agit des camps des déplacés de l’ISP-Bunia, Celui de Lycée Kigonze et celui de Kasenyi qui sont tous situés sur les terrains du diocèse.

De la visite des survivants des atrocités de l’Ituri au Pape le 1er février 2023 : motivation, objectif, finalité ou  regard de l’Eglise

  • Des critères

Avant toute chose, il faut comprendre que les survivants envoyés à Kinshasa à la rencontre du Pape ne représentent rien par rapport au nombre des survivants. Mais pour être choisi (e)s, il fallait qu’ils portent une marque visible de souffrance physique infligé par les conflits de l’Ituri, qu’ils soient accessibles dans la situation sécuritaire volatile de l’Ituri, disponibles. Il fallait aussi des personnes capables de porter et de propager le message de réconciliation dans le Christ Jésus. De plus, il fallait une représentation d’âge et de sexe. Et la sélection devait être effectué par un service autonome.

  • Les personnes recrutées étaient les suivantes :
    • une fillette de 12 ans, avec un seul bras restant, du nom d’Irène, dont on a coupé un bras pour la laisser vivante après avoir massacré les autres enfants de la famille dont son cadet tranché en deux ; déplacée de guerre, vivant dans un camp de PDI;
    • un homme adulte, qui porte à la mâchoire une blessure et une douleur permanente,  du nom de Jean de Dieu, qui a survécu seul parmi ses compagnons avec lesquels une attaque meurtrière les avait surpris dans un village au bord du Lac Albert;
    • une femme ménagère, Célestine, ayant un seul bras après avoir vu tous les membres de sa famille égorgés, mais qui doit tenir son foyer malgré son état;
    • une femme manchotte, du nom de Marie, qui a été ainsi privée de ses bras par les voisins du village ou elle vivait, lors d’une agression ; un prêtre mutilé des doigts par une partie des fidèles à qui il apportait la bonne nouvelle de Jésus-Christ.
  • Les personnes recrutées étaient les suivantes :
    • une fillette de 12 ans, avec un seul bras restant, du nom d’Irène, dont les bourreaux ont coupé le bras droit pour la laisser vivante après avoir massacré d’autres proches dans le même coup; elle est déplacée de guerre, vivant dans un camp de PDI;
    • un homme adulte, qui porte à la mâchoire une blessure et une douleur permanente,  du nom de Jean de Dieu, qui a survécu seul durant 24 heures parmi ses compagnons avec lesquels une attaque meurtrière les avait surpris dans un village au bord du Lac Albert;
    • une femme ménagère, Célestine, amputé de bras droit par balle après avoir vu tous les membres de sa famille massacrés à coup de marteau, déshabillés et ligotés : elle doit tenir son foyer dans cet état;
    • une femme manchotte, du nom de Marie, qui a été ainsi privée de ses bras par machette par ses voisins du village qui ont avant cela abattu son enfant porté au dos, lors d’une agression ;
    • un prêtre mutilé des doigts par une partie des fidèles à qui il apportait la bonne nouvelle de Jésus-Christ.
  • Leur message= le message de l’Eglise :
    • nous volons retourner dans nos villages, cultiver nos champs, reconstruire nos maisons ; nous voulons vivre avec nos voisins de toujours loin des bruits des armes ;nous voulons la paix, rien que la paix ; nous déposons au pied de la croix du Christ les armes qui ont servi à nous martyriser pour la conversion des cœurs de nos bourreaux à qui nous avons pardonné ; nous avons expérimenté la réconciliation : elle est thérapeutique : il faut pardonner pour être pardonné ; le mal perpétré en Ituri doit  puni et réparé et ses auteurs poursuivis et punis.

Conclusion

  • ce qui tue l’Ituri c’est le cœur de l’homme : la jalousie, l’avidité, l’égoïsme. C’est ce cœur qu’il faut changer
    • L’évangile, les actions prophétiques, l’engagement chrétien  et par la prière en sont la voie ;
    • avec le Christ,  l’espoir est permis et cette espérance est vivante !
    • l’iturien doit ainsi comprendre qu’il doit désarmer son propre cœur  et se désolidariser de la chaine de la mort savamment montée à son insu, sans lui et contre lui
    • le monde devrait savoir respecter la vie des Ituriens qui n’ont rien fait pour naître en Ituri.

Merci à tous ceux qui ont collaboré à l’initiation et à la réalisation de cette brochure/ Abbé Chrysanthe Ngabu Lidja CDJP Bunia.