Les crimes économiques de l’état de siège

Kinshasa, 5 juillet 2024 (Iturinews).- Comment sont gérées les finances publiques pendant l’état de siège ? L’administration militaire peut-elle poursuivre des objectifs strictement militaires et poursuivre le développement social et économique ? Quels sont les maux qui minent la gouvernance des finances publiques en Ituri pendant la période exceptionnelle qu’est l’état de siège ?

Trois chercheurs, le professeur Jean Otemikongo de l’Université de Kisangani et les assistants de l’Université de Bunia Christian Mbojima et Gracias Otemikongo, ont répondu à ces questionnements par une étude publiée en juin dernier. Intitulée “État d’exception et gouvernance financière de la Province de l’Ituri : entre militarisation et économie de guerre”, l’étude note dès son entame que “le résultat de la recherche montre que l’état de siège phagocyte la gouvernance économique”, que “l’état de siège n’a pas aidé la province de l’Ituri à booster la gouvernance financière pour promouvoir le bien-être collectif “ et que “l’urgenturie sécuritaire” a ouvert la porte aux détournements des deniers publics”.

Pour les auteurs de l’article, l’ordonnance instituant l’état de siège n’exonère pas les administrations militaires des provinces concernées de leurs responsabilités en matière de gouvernance publique. “A l’impératif de l’ordre public répond l’état de siège traditionnel, et à la revendication du bien-être collectif la gouvernance publique” argumentent-ils.

Malheureusement, en Ituri, “il n’existe pas de cadre programmatique qui définisse en amont les politiques et stratégies publiques de l’état de siège susceptibles d’encadrer et d’orienter les actions prioritaires à mettre en place pour les besoins sociaux et économiques des administrés”. Ce fut du reste le constat d’évaluation de l’état de siège d’août 2021 de l’Assemblée nationale. Celle-ci relavait dans son rapport que l’état de siège a été proclamé “sans soubassement quelconque de chronogramme et sans montage financier conséquent à même de couvrir les besoins opérationnels sur le terrain”.

Alors que la gestion des ressources de la province devrait être soumise aux principes de gestion des finances publiques, on assiste plutôt en Ituri à la concentration des pouvoirs dans les mains du gouverneur qui est à la fois, notamment, autorité législative, ordonnateur du budget des dépenses et des recettes, autorité contractante des marchés publics.

Se référant à des “indicateurs pertinents” en matière d’évaluation, l’étude fait état d’une “exception iturienne” qui prévaut dans la province : On y vit la “militarisation” et la “policiarisation” de l’administration. La planification y est à vue : à sa proclamation, les dépenses spécifiques à l’état de siège n’étaient pas prévues au budget national ; et l’administration militaire ne s’est jamais dotée de cadre programmatique ni en matière de sécurité, ni en matière social et économique.

Conséquence : c’est une “économie de guerre dans tous ses états” qui a cours en Ituri, à savoir, “toutes les opérations économiques illicites auxquelles les acteurs visibles et invisibles, s’il y en a, du conflit en Ituri, se livrent, soit pour la recherche de l’enrichissement personnel, soit pour maintenir la province de l’Ituri le plus longtemps possible dans la guerre”. Plus concrètement, “les activités illicites de l’état de siège sont aussi nombreuses et diversifiées. On peut citer parmi celles-ci : le détournement des fonds alloués à l’état de siège, les tracasseries militaires sur la route, l’exploitation des ressources naturelles minières et enfin, le ravitaillement des groupes armés en effets de guerre”.

Exploitation illicite des ressources naturelles

L’étude fournit plusieurs cas concrets en illustration de ses constats. “L’effort de guerre”, ce sont notamment les innombrables barrières érigées par les forces de défense et de sécurité ainsi que certains services publics sur les routes d’intérêt national et les routes provinciales. C’est également le système de convoi militaire notamment sur le RN 4 et la RN 27.

S’agissant de l’exécution des dépenses publiques, il est noté que “les règles cardinales des finances publiques sont loin d’être observées”. Pour preuves, des discordances s’observent entre les chiffres de la Cour des comptes et ceux de l’administration militaire.

En outre, en ce qui concerne les marchés publics, c’est “le recours systématique à la procédure de gré à gré”, ce qui est “source de malversations financières et de détournements des deniers publics dans la hiérarchie militaire”. A ce propos, plusieurs correspondances des structures compétentes comme la Cellule de gestion des projets et des marchés publics et l’Autorité de régulation des marchés publics sont brandies par l’étude.

Les fonds alloués à l’état de siège ont fait l’objet de détournements. Tant l’Assemblée nationale que l’Inspectorat des FARDC ont eu à le relever dans leurs rapports respectifs. Si une fois neuf officiers furent arrêtés, l’impunité reste de mise.

L’état de siège est également un terreau fertile pour l’exploitation illicite des ressources naturelles. Groupes armés, services de sécurité, puissances étrangères, tous y trouvent leurs comptes.

La “milicialisation de l’économie” rivalise avec le “commercialisme militaire”. En effet, “les groupes rebelles profitent des fruits de l’économie de guerre pour faciliter leurs activités criminelles”, et en même temps qu’“il existe une chaine bien construite qui alimente les groupes armés en brousse et facilite l’approvisionnement et/ou le ravitaillement des groupes armes en effets militaires”.

Les forces de sécurité et de l’ordre trouvent encore leurs comptes dans la présence des étrangers dans les sites miniers, enfreignant les lois du pays. Ils sont trempés dans l’exploitation des ressources naturelles comme l’or, le bois, le cacao. Le gouverneur militaire n’a-t-il pas désigné un sujet Chinois comme interface entre le gouvernement provincial et les exploitants miniers chinois par sa lettre 01/0250/CAB/PROGOU/PI/2021 du 4 octobre 2021 ?

L’étude n’est pas allée jusqu’à le souligner, mais ces abus ne sont-ils pas constitutifs de crimes économiques et financières, parce qu’alliant fraude, évasion fiscale, blanchiment d’argent, etc., en vue d’avantages financiers personnels ? Le jugement de l’histoire tranchera un jour. Deb’S