Les déboires de l’état de siège

Ir Victor et Me Utheki de G5-A, Ir Lossa de la Socit, Chef Yves Kahwa, Mgr l’Évêque Dieudonné Uringi, Thomas Lubanga et Bede Djokaba de l’Upc, …le gouverneur militaire Luboya sur tous les fronts, sauf sécuritaire

Nouveau feuilleton cette semaine en Ituri, avec comme l’un des acteurs principaux, comme dans plusieurs autres auparavant, le feu follet gouverneur militaire de l’Ituri, le lieutenant-général Luboya Nkashama Johnny. Il s’agit de la passe d’armes entre d’une part les dirigeants du parti Upc, Union des patriotes congolais, notamment son secrétaire général Djokaba Lambi Bede, nouvellement élu député provincial, son président Thomas Lubanga Dyilo et, d’autre part, le gouverneur de la province de l’Ituri et ses hommes dont son verbeux porte-parole, le lieutenant Jules Ngongo.

Un énième épisode de la litanie de bras de fer, par médias interposés, mais aussi d’autres canaux, entre l’autorité provinciale et divers acteurs de la place en Ituri.

La moindre critique contre l’état de siège est de nature à déclencher l’ire du galonné. Bonjour alors sa riposte, dans les médias, dans les réseaux sociaux, voire devant les cours et tribunaux, si ce n’est au travers d’une expédition punitive. Sans état d’âme, pour emprunter une célèbre déclaration. Des dirigeants du G5-A (“organisation circonstancielle des communautés victimes des atrocités des milices en province de l’Ituri”), en passant par le coordonnateur de la Société civile de l’Ituri (Socit), jusqu’à l’évêque du diocèse de Bunia, tous ont expérimenté, à divers degrés, la répulsion de l’étoilé face à tout esprit indépendant.

D’aucuns auraient pourtant souhaité qu’autant d’énergie soit déployée plutôt dans le bon accomplissement de la mission de rétablissement de l’autorité de l’État !

C’est le G5-A qui avait ouvert le bal. Cette organisation s’était illustrée par d’intenses activités. Régulières déclarations de presse, enterrements de victimes des violences, organisation de journées ville-morte, descentes sur Kinshasa pour rencontrer les plus hauts dirigeants du pays…

Il n’en fallait pas plus pour blesser l’ego de l’omnipotent gouverneur militaire. La suite, on la connait. Enlèvement nocturne la nuit du 24 au 25 janvier 2023, séquestration, humiliation, exil, pour le bouillant porte-parole Ir Victor Ngona Kabarole. Prison, depuis le 8 août 2023, assorti d’un jugement de 20 ans de réclusion pour son non moins bouillant président Me Utheki Christian, qui croupit toujours dans une geôle à Beni, dans la province voisine du Nord-Kivu.

Les autres membres du directoire du G5-A font désormais profil bas.  Le G5-A est réduit au silence. Un détracteur de moins pour l’état de siège.

Mais une autre entité continue à déranger, à donner de la voix, une voix discordante de celle qui provient des animateurs et chantres de l’état de siège. C’est la Société civile de l’Ituri, dont le coordonnateur s’appelle Dieudonné Lossa.

Tout va être mis en marche pour étouffer cette voix également. Une affaire de demande d’argent auprès du gouverneur non satisfaite est montée pour dénigrer l’Ir Lossa. Mais surtout, il sera accusé de tous les maux au lendemain de la Table-ronde sur l’état de siège tenue à Kinshasa en août 2023, si bien que Lossa est obligé de prolonger involontairement son séjour à Kinshasa, craignant pour sa sécurité.

En effet, dans une vidéo devenue virale tournée par la presse dans la cour du gouvernorat de province, c’est un Luboya dans tous ses états, caressant ses trois étoiles de lieutenant-général, qui s’en prenait à l’Ir Lossa de l’avoir accusé, à Kinshasa, “de donner des Poclins aux Codeco” et donc de “dénigrer une haute autorité”.

Dieudonné Lossa restera à jamais dans sa mire. Dans son interview accordée récemment à Afrique Radio, le gouverneur déclarait ceci à son propos : Vous savez, la Société Civile (…) je ne veux pas tellement parler de tous les membres comme je le disais, je parle de l’individu. Ce monsieur-là est inféodé à sa communauté. (…) C’est lui qui a fait ce bilan et le bilan qui est venu d’eux, du Zaïre, qui est le groupe armé de sa communauté ».

Bilan de l’état de siège

Le tout dernier péché du coordonnateur de la Société civile, c’est d’avoir présenté un bilan peu élogieux de l’état de siège à l’occasion de son troisième anniversaire en mai dernier. Dans un document de 6 pages daté du 10 mai 2024 intitulé « Evaluation des trois ans de l’état de siège en province de l’Ituri », la Socit dresse en effet le bilan suivant : « 2114 personnes massacrées ; 246 personnes blessées, 489 personnes kidnappées, 2217 maisons incendiées, 31 boutiques pillées, 19 camions incendiés, 48 motos incendiées ; 6 salles de classe incendiées ; 1735 vaches pillées ; 391 chèvres et 9 moutons pillés ; 1 centre de santé AYFORO/Anghal 2 pillé ; 1 hôpital général de Drodro pillé ; 1 hôpital général de Ytendey complètement incendié ».

Le rapport relève en outre les tracasseries policières, militaires et judiciaires, la déplorable situation pénitentiaire en Ituri, le délabrement des routes sauf la voirie urbaine à Bunia, le coulage des recettes, les situations humanitaire et scolaire catastrophiques. La principale recommandation du rapport est : la levée pure et simple de l’état de siège.

Voilà qui irrite plus que tout le gouverneur de province. Pour avoir déclaré dans une réception par des Ituriens au mois de mars dernier à Kinshasa que la situation dans la province de l’Ituri était meilleure avant l’avènement de l’état de siège, l’évêque Dieudonné Uringi du diocèse de Bunia en eut pour son compte.

Pris d’une fureur noire, le gouverneur militaire dénigra publiquement le clergé et sa hiérarchie, allant jusqu’à raconter devant la presse que des abbés étaient venus mendier auprès de lui un financement de 300.000 dollars.

Cette fois-ci, la réplique fut immédiate. Lors de son sermon au lendemain des déclarations du gouverneur, l’évêque le mit au défi d’apporter la preuve de ses allégations. La preuve qui ne vint jamais. A la place, ce furent des excuses voilées du gouverneur, sans doute pour une fois pris de remord pour un mensonge éhonté. Il proclama sa foi catholique, se reconnu de ce fait fils du prélat…

Ce camouflet n’aura pas visiblement servi de leçon au potentat de l’Ituri. C’est ce qui explique sans doute l’actuel feuilleton avec l’Union des patriotes congolais.

De l’avis général, c’est la dernière interview du gouverneur, dont mention ci-haut, qui a mis le feu aux poudres.

Dans l’interview, le gouverneur, pour justifier la persistance de l’insécurité en Ituri, pointa du doigt « des politiciens ayant échoué aux élections de 2023 ». « Il y a eu des politiciens ici qui ont été condamnés et donc ils ne pouvaient plus être réélus. Alors, qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils ont voulu s’imposer, ils ont posé leurs candidatures et tout. Mais à la fin, ils ont été invalidés. Et donc, ces politiciens sont rentrés ici dans leurs communautés pour faire du chantage de sorte que, n’est-ce pas, leurs groupes armés, comme je vous ai parlé, et leurs communautés les soutiennent pour que, pour lever, n’est-ce pas, cette invalidation. Mais malheureusement pour nous, heureusement la CENI a été catégorique et donc, ces Messieurs-là sont restés là et ils n’ont pas été élus. Un des leurs est rentré aujourd’hui, même est parti. Il est allé dans un des pays voisins ici. Il est en train de s’organiser avec tous ces autres criminels qui font le désordre au Nord-Kivu », déclara-t-il. L’allusion était clairement faite à Thomas Lubanga et à Chef Yves Kahwa Panga.

Il n’en fallu pas plus pour que l’UPC monte sur ses gongs. Son secrétaire général, dans une conférence de presse musclée lundi 26 juin à Bunia, fit une « mise au point sur l’acharnement et le harcèlement auquel se livre sans relâche le gouverneur militaire contre elle et son président, Mzee Thomas Lubanga ».

L’UPC y dénonce des « accusations d’une infamie cruelle à laquelle s’est livré le gouverneur militaire et son cabinet politique dans les médias et les réseaux sociaux » ; accusant les interventions du porte-parole du gouverneur militaire de « monstruosités, incongruités et absurdités » destinés à « faire prévaloir l’absolutisme du pouvoir de son maitre ».

Dénonçant le recours à « la politique de diversion » de la part du gouverneur pour justifier son « échec cuisant afin de pérenniser l’état de siège », l’UPC « invite le gouverneur militaire à assumer pleinement seul le bilan chaotique de son mandat ». S’adressant personnelle au gouverneur Luboya, le parti le prévient qu’il élèvera la voix « tant que les massacreurs que vous défendez (…) resteront opérationnels, tant que les enfants que votre irresponsabilité maintient dans les rues et dans une inhumanité révoltante seront là, tant que des milliers de Congolais seront gardés dans les mouroirs que sont les sites des déplacés ».

Deux jours plus tard, la réaction du gouverneur de province est une plainte déposée à l’auditorat à Bunia, contre l’UPC à travers son secrétaire général pour, comme l’a déclaré à la presse le porte-parole Jules Ngongo, « propos désobligeants, outrage à l’officier ». Le président de l’UPC est accusé en outre de se faire garder par des éléments Zaïre.

Une plainte, c’est ce que l’UPC s’est le même jour targué d’avoir déposé contre le même porte-parole du gouverneur militaire, pour « imputation dommageable, dénonciation calomnieuse, injure et faux bruits », selon les propres dires de Thomas Lubanga relayés par la presse.

Quel sera le prochain rebondissement de cette dernière affaire ? Wait and see.

Toujours est-il que le commun élément déclencheur de cette saga est toute appréciation négative de l’état de siège. Dans son interview à Radio Africa, le gouverneur militaire déclarait que les conditions ne sont pas réunies pour lever l’état de siège et qu’« il faut attendre encore ». Honni donc qui, comme Ir Lossa, Mgr Uringi, Djokaba, et consorts, proclament l’échec de l’état de siège !

IturiNews