Procès Me Utheki : effet boomerang, l’étau se resserre autour du gouverneur militaire

Trois chefs d’accusation. Près de dix audiences déjà. Plus de deux mois d’incarcération.

L’avocat Christian Utheki a été arrêté le 8 août 2023 par la justice militaire à Bunia. Mais à longueur d’audiences, relayées par des audios devenues virales, l’accusation n’arrive à produire la moindre preuve des accusations portées à la charge de l’accusé. L’opinion n’en revient pas des errements du ministère public.

Des témoins majeurs, notamment le chef de la sécurité et homme de sales besognes du gouverneur de province, le très sulfureux major Christian, de même que le colonel chargé de renseignements militaires du secteur opérationnel de l’Ituri, rechignent à se présenter au tribunal. Un autre accusé renie des propos lui attribués, évoquant un procès-verbal monté par le major Christian. Le même. Le procès vire à l’absurde et se révèle être ce qu’est l’affaire : un montage grossier et mal ficelé.

Le montage serait commandité par le gouverneur de la province de l’Ituri en personne. Le collectif de la défense, fort de dix avocats, exige désormais la comparution du gouverneur en personne.

Bunia, 08 août 2023. L’avocat Christian Utheki se rend à l’Auditorat militaire, situé en plein centre-ville, pour une quasi-routine à savoir, suivre les cas de certaines personnes qui étaient en détention. Il s’y fait arrêter. Il lui est opposé un mandat d’arrêt individuel daté du 14 juin 2023, décerné à la suite du massacre du site des déplacés de Lala, en territoire de Djugu.

Les premières auditions corsent les charges contre l’avocat.  Trois infractions sont portées à sa charge : participation à un mouvement insurrectionnel, provocation au rassemblement des miliciens, démoralisation et outrage à l’armée.

Pour ce qui est de la première infraction, il lui est reproché d’avoir signé, avec d’autres membres du G5, une “organisation circonstancielle des communautés victimes des atrocités des milices en province de l’Ituri”, un document en faveur de “l’autodéfense en territoire de Djugu”.

Deuxième infraction : provocation au rassemblement des miliciens. Me Christian est accusé d’avoir tenu des réunions avec des miliciens dans plusieurs localités, notamment Madombo, Katsese, Dala, Kilo-Etat, Bule, Largu.

Troisième infraction : Outrage et démoralisation de l’armée. L’outrage se serait passé à Tchomia au travers du discours tenu par le président du G5 aux des obsèques des 13 civils tués par un élément des FARDC. L’incriminé aurait traité les militaires des FARDC de voyous, fumeurs de chanvre et tueurs. “Quant à la démoralisation de l’armée, la plainte émane du gouverneur militaire de l’Ituri. Elle avait été déposée au niveau du barreau de l’Ituri, avec copie à l’auditeur supérieur. Elle fut consécutive aux déclarations de notre client dans l’émission “dialogue entre congolais” du 12 septembre 2022 dans lequel il décriait l’insécurité qui sévissait aux alentours de la ville de Bunia, principalement dans le groupement Lengabo qui est voisin de la ville de Bunia, les quartiers Mapera, Hoho, Dele, Kindia ainsi que sur la route Kasenyi”, renseigne un des avocats de Me Utheki contacté par IturiNews.

Audiences

La première audience a lieu le 12 août 2023 à la Cour militaire où l’affaire a été d’abord fixée. Celle-ci se déclara incompétente. L’affaire est derechef renvoyée devant le tribunal militaire de garnison.

Un des avocats explique : “Au tribunal militaire de garnison jusqu’à ce jour se sont tenues successivement six audiences dont les deux premières sur le plan forme où des irrégularités furent soulevées.  Le juge y répondit en joignant certaines au fond et en rejetant certaines autres. Les quatre dernières audiences, ce sont des audiences sur le fond de l’affaire”.

Durant ces quatre comparutions de l’avocat, toutes les trois préventions ont été analysées, en l’occurrence la participation à un mouvement insurrectionnel, la provocation au rassemblement des miliciens de défense Zaïre et l’outrage à l’armée.

L’avocat continue : “Il s’est avéré que pour la participation à un mouvement insurrectionnel, il y a un témoin à charge qui est un témoin du ministère public, un certain Jacob Bamerge qui a comparu devant l’auditeur supérieur et là il déclaré que notre client s’est retrouvé une fois à Tchomia et y a tenu une réunion avec un groupe d’autodéfense avant l’inauguration du bâtiment administratif de la chefferie des Bahema Banywagi. Lorsqu’il est venu comparaitre devant le juge cette fois-là, il lui fait savoir que les propos qu’il a eu à tenir dans le PV d’audience sont des propos montés de toute pièce et montés par le major Christian, qui est le chef de la sécurité du gouverneur militaire, ainsi que par l’auditeur supérieur militaire. Ils ont monté ce procès, lui ont amené un PV pour qu’il puisse signer sous la promesse qu’il sera libéré, qu’on va protéger sa famille, parce que lui aussi il est en état d’arrestation, et sous promesse qu’on va le faire partir de la province de l’Ituri pour qu’il aille habiter soit en Equateur soit à Kalemie, mais que cette promesse n’a jamais été tenue”.

L’homme a désormais modifié de témoignage : il a effectivement vu Maitre Christian à Tchomia en 2021. Mais il ne l’a jamais vu tenir une réunion avec des miliciens. Des gens venaient plutôt lui rendre visite pour le saluer en sa qualité de président de G5, parce que beaucoup ne le connaissaient pas.

Bien plus, par rapport à la date de la commission de l’infraction, il y a contradiction entre ce témoin, seul témoin à charge, le nommé Jacob, et l’accusation. “Il s’avère que la décision de renvoi qui traduit notre client devant le juge dit qu’il a commis l’infraction, qu’il a provoqué le rassemblement des miliciens, en 2023. Mais la rencontre à laquelle fait allusion Jacob, si elle s’avérait vraie, est une rencontre qui s’est tenue en 2021, le 1er août 2021”, avance un autre avocat de la défense.

Par ailleurs, le ministère public n’arrive pas à produire le document que Me Utheki aurait signé en faveur d’une autodéfense. Non seulement le document est introuvable, mais en plus le ministère public déclare finalement que ledit document n’est plus la preuve de l’infraction, et qu’il va plutôt considérer désormais le témoignage qu’apportera le colonel chargé de renseignements militaires au niveau du secteur opérationnel de la province de l’Ituri, appelé dans le jargon militaire T2.

“A notre grande surprise, s’étonne l’avocat, il se fait qu’à l’audience fixée, le T2 ne s’est pas présenté. Le ministère public a sollicité une autre remise, et cette remise qui a été fixée à 2 semaines puisque le T2 était à Kinshasa. Mais une fois de plus, lorsqu’on a envoyé l’invitation au T2, il ne s’est pas présenté. C’est comme ça que le tribunal a finalement décerné un mandat d’amener contre le T2 pour qu’il vienne comparaitre sous contrainte”.

De plus, sur base des déclarations du renseignant Jacob, le tribunal a décidé de la comparution du major Christian. Lui aussi a boycotté l’invitation du tribunal qui, à sa dernière le 11 octobre 2023, a ordonné qu’il soit également amené par force par un mandat d’amener pour venir l’éclairer. L’audience de comparution desdits témoins du ministère public, les deux militaires, le colonel T2 et le major Christian, aura lieu le mercredi 18 octobre prochain.

A la dernière audience du tribunal, la défense est passée à une autre étape. C’est le gouverneur de province qu’elle veut voir comparaitre et entendre. “Pour nous la défense, nous estimons que la responsabilité personnelle du gouverneur militaire Johnny Luboya est engagée dans cette affaire. En ce qui concerne le mandat d’arrêt pour lequel notre client a été mis aux arrêts, la décision a été prise au sein du conseil de sécurité, présidé par le gouverneur, et relayé par lui dans un point de presse où il dit qu’il y a une frange des politiciens qui ont manipulé l’autodéfense Zaïre afin qu’elle boycotte la rencontre d’Aru provoquant ainsi Codeco qui a réagi en tuant 46 personnes dans le site des déplacés de Lala donc, et que donc on doit mette la main sur ces politiciens. C’est comme ça que le mandat d’arrêt a été décerné contre Maitre Christian. En sus, il y a l’autre plainte émise par lui au travers laquelle il a saisi le barreau de l’Ituri avec copies à plusieurs services dont l’Auditorat supérieur. Cette plainte a aussi concouru à l’arrestation de notre client”, explique l’un des avocats de la défense.

Qui ajoute : “Nous avons donc estimé que la comparution du gouverneur s’avère indispensable. Il doit venir éclairer le tribunal sur les mobiles ou les indices qui prouvent que Me Christian a rassemblé l’autodéfense Zaïre pour aller provoquer Codeco, et que partant, la milice Codeco a réagi en tuant des civils dans le site des déplacés de Lala”.

La défense attend aussi du gouverneur militaire des explications sur ce qu’elle appelle sa “collaboration avec des groupes armés”. Elle explique : “ Il y a des documents, des messages audio et vidéo lancés par différentes personnalités dont le gouverneur lui-même, qui ont circulé. Nous voudrions que ces personnalités dont le gouverneur viennent justifier pourquoi, parce que c’est lui qui est cité, c’est lui qui est incriminé, comment il collabore avec les milices, comment il traite avec les milices. Lorsqu’on fait par exemple allusion à l’autodéfense MAPI avec qui il collabore, on ne peut pas concevoir qu’une autorité de la province sous état de siège puisse collaborer avec des groupes des miliciens. C’est à ce titre que nous voudrions aussi questionner le gouverneur militaire afin qu’il éclaire notre religion. Nous le considérons comme un témoin à décharge de notre client. Les dépositions qu’il va devoir faire vont devoir le disculper de la prévention que l’auditeur militaire a mis à ma charge”.

Liberté provisoire

L’autre bataille de la défense, c’est l’obtention de la liberté provisoire en faveur de Me Christian. La demande a été introduite à trois reprises. Elle a été rejetée deux fois. La troisième tentative devra trouver réponse à la prochaine audience, le 24 octobre 2023.

Entretemps, mercredi 18 octobre dernier a eu lieu l’audience de comparution des témoins du ministère public, les deux officiers contre qui des mandats d’amener ont été délivrés. Une énième fois, le T2 ne s’est pas présenté. Quant au major Christian, son audition s’est déroulée à huis clos, sur décision du tribunal. Que cache-t-on au moment pourtant crucial pour la manifestation de la vérité ?

IturiNews